01 juin 2007

Les vaccins, le thimerosal, la science et les rumeurs

EDITORIAL

La sensibilité des parents d'enfants avec autisme aux rumeurs est compréhensible. Toute explication, même irrationnelle, est bonne pour ceux qui subissent un mal qui frappe apparemment à l'aveugle. C'est une tendance naturelle de l'homme à projeter du sens dans ce qui nous entoure. Le processus n'est donc pas nouveau: avant l'ère scientifique, on imaginait un panthéon de dieux, l'influence des astres, ou des causes physiques imaginaires comme les 'humeurs', les 'méridiens', le 'terrain', etc.

Aujourd'hui, le recul de la religion et des anciennes superstitions aidant, ce sont les rumeurs colportées par Internet qui fleurissent. La 'preuve', c'est la multiplication de celles-ci depuis qu'Internet se démocratise. Evidemment, il s'agit ici d'une corrélation. Mais tout le monde peut comprendre rationnellement la causalité entre la pénétration d'Internet et la facilité de diffusion de rumeurs infondées.

Des rumeurs persistantes font état d'une corrélation entre l'administration de vaccins et l'incidence de l'autisme. En fait il y a plusieurs rumeurs différentes et incompatibles entre elles. L'une accuse un composant des vaccins, le thimerosal en particulier (un adjuvant qui était rajouté aux vaccins pour en accroitre l'efficacité et dont le mercure est un composant). Une autre accuse spécifiquement le vaccin ROR (rougeole-oreillons-rubéole) et le virus de la rougeole en particulier. Une troisième accuse le vaccin contre la varicelle. Aucun rapport entre ces trois rumeurs, mais elles sont souvent amalgamées par les parents d'enfants avec autisme. Une dernière rumeur, plus récente, accuse les téléphones portables tout en balayant du revers de la main les autres rumeurs, par des arguments rationnels qui permettent de la balayer elle-même !

Qu'en est-il en réalité ? Toutes les études accusant les vaccins ont été discréditées depuis plusieurs années par des analyses a posteriori. Les accusations de Wakefield contre le vaccin ROR a été discréditées lorsque la presse scientifique a révélé le conflit d'intérêt qui le liait à un des parents d'enfants en procès contre les services médicaux, ainsi que l'origine curieuse du financement de son étude, par ailleurs largement biaisée du point de vue technique.

Les accusations contre le thimerosal sont tombées lorsque le Danemark, qui a abandonné le thimerosal dans les vaccins infantiles depuis 1992 n'a pas vu diminuer l'incidence de l'autisme, au contraire. La Suède a suivi le même chemin que le Danemark et réduit considérablement l'utilisation du thimerosal depuis les années 1980. Là non plus, aucune diminution de l'incidence de l'autisme. S'il y a un ou des facteurs environnementaux impliqués, une chose est maintenant sure: le thimerosal n'a pas grand chose à voir avec.
Certains parents insistent sur les similitudes entre un empoisonnement au mercure et les symptômes de l'autisme. Outre que cette similitude est une vue de l'esprit, il est curieux qu'un empoisonnement au mercure soit soudainement sensible au sexe de l'enfant, au point qu'il touche dix fois plus souvent les garçons que les filles. Si c'est un facteur environnemental qui favorise l'autisme, ce facteur environnemental se préoccupe beaucoup du sexe de l'enfant, ce qui signalerait une sensibilité génétique portant sur le chromosome X (les enfants de sexe masculin n'en possédant qu'un, ils sont plus sensibles aux défauts génétiques sur ce chromosome). Le facteur génétique est donc une piste beaucoup plus crédible, même si un facteur environnemental est probablement à l'oeuvre, favorisant ces défauts chromosomiques.

Passons au téléphone portable. La aussi, il s'agit d'une corrélation temporelle (c'est à dire une coïncidence) qui est avancée par les parents d'enfants avec autisme. C'est la même corrélation temporelle qui leur permettait d'incriminer le vaccin ROR, introduit environ au même moment que se développait le téléphone portable. Mais c'est également au même moment que l'ordinateur individuel et ses nombreux produits toxiques, comme les PCB, est arrivé. Tous ces outils utilisent les mêmes technologies et donc leur apparition a été simultanée.
Alors pourquoi les téléphones portables et pas les ordinateurs ? Peut-être parce que les adeptes d'une théorie contre les ordinateurs portables ne pourraient plus justifier de leur utilisation d'Internet pour répandre la rumeur ! Alors que les téléphones portables, eux, n'ont pas cet 'inconvénient', vu qu'ils ne permettent pas la communication de masse.
Reste à savoir combien de temps les bébés passent avec le téléphone portable collé à l'oreille pour expliquer l'augmentation des cas d'autisme. Sachant que l'effet des ondes émises par les portables diminue considérablement dès lors que le téléphone est situé à 15cm de la tête, on se demande comment les bébés pourraient en pâtir, à moins de supposer que les parents laissent leur téléphone branché dans le berceau ou le landau du petit, ou que la mère le porte sur son ventre pendant toute la grossesse au lieu de le mettre comme d'habitude dans son sac à main. Cette théorie fera aussi long feu que les autres, sans doute, mais aura l'avantage sur les autres de ne pas causer de mort par défaut de vaccination.

Toutes ces rumeurs n'ont aucun fondement mais perdurent uniquement, à l'instar de toutes les légendes urbaines, colportées par des personnes qui n'ont généralement aucune formation scientifique ou médicale et sont prêtes à écarter tout argument rationnel qui irait à l'encontre de leurs convictions toutes faites. Elles sont très généreusement reprises par les médias en quête de scoop, quitte à faire du réchauffé.

L'effet global est que les scientifiques passent plus de temps à discréditer ces théories pseudo-scientifiques et moins de temps à rechercher les véritables causes. Sans oublier qu'elles ont diminué la couverture vaccinale nécessaire pour empêcher une épidémie de se produire. La conséquence est claire: de nouvelles épidémies de rougeole et de varicelle se produisent, là où elles avaient disparu depuis longtemps. L'Angleterre a été ainsi réexpédiée en quelques années dans le tiers-monde de la vaccination. Un enfant en est déjà mort. Est-ce que les convictions de quelques irresponsables valait ce prix ? Ceux qui le croient devraient pouvoir supporter de le dire en face aux parents de la victime.

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