Traduction: J.V.
Les changements de diagnostics et la prise de conscience n’expliquent qu'une partie de l'augmentation apparente de l'autisme. Les scientifiques ont du mal à expliquer le reste.
Karen Weintraub
Lorsque Leo Kanner a décrit pour la première l'autisme en 1943, il a fondé ses observations sur 11 enfants avec de graves problèmes de communication, des comportements répétitifs tels que le balancement et un manque aigu d'interaction sociale. Le médecin et psychiatre de l'Université Johns Hopkins de Baltimore, Maryland, a prédit qu'il y avait probablement beaucoup plus de cas que lui ou quelqu'un d'autre n’avait remarqué (1). «Ces caractéristiques forment un « syndrome » propre, non rapporté jusqu'ici," écrivaitt-il, "qui semble être assez rare, mais est probablement plus fréquent que ce qui est indiqué par la rareté des cas observés."
La prophétie de Kanner a été plus que respectée.

Pour la plupart, la recherche sur la prévalence de l'autisme avait expliqué l'écart de l'augmentation. Des études l'ont attribuée à une plus grande prise de conscience de la condition, aux critères de diagnostic plus larges pour les TSA, au diagnostic plus fréquent des enfants souffrant de retard mental comme ayant également l'autisme et au diagnostic à un plus jeune âge. Mais depuis le milieu des années 2000, des chercheurs ont commencé à noter que ces explications s’avéraient courtes. «Un vrai risque en raison d’un certain facteur de risque environnemental, encore à identifier, ne peut pas être exclu", lit-on dans une étude de 2005 (5).
Ce changement est important. Si l'augmentation de l'autisme peut être expliquée principalement par l’augmentation de la sensibilisation, du diagnostic et de facteurs sociaux, alors les facteurs environnementaux qui y contribuent ont toujours été présents - peut-être une infection au mauvais moment de la grossesse ou quelque sorte de déficit nutritionnel. Si l'augmentation ne peut pas être expliquée - et qu’au moins une partie de la hausse est «réelle» -, alors de nouveaux facteurs doivent l’avoir provoquée, et les scientifiques doivent de toute urgence les trouver.
Le sujet est sensible.
Les parents d'enfants autistes sont bouleversés sur qu'ils auraient pu faire pour l'empêcher. Les chercheurs se méfient de l'invocation de déclencheurs environnementaux, parce que cela ramène à une idée mise au rebut que les mères «réfrigérateur» froides, sans amour ont été la source des problèmes de leurs enfants. Et l'augmentation de la prévalence a été utilisée pour soutenir des hypothèses plus récemment démenties comme l'idée que les vaccins causaient l'autisme.
Thomas Insel, directeur du National Institute of Mental Health de Bethesda, Maryland, affirme qu'il est temps de surmonter ces héritages. «Cette idée de savoir si la prévalence est en augmentation est tellement controversée pour l'autisme, mais pas pour l'asthme, le diabète de type 1, les allergies alimentaires - beaucoup d'autres domaines où toute sorte de gens acceptent le fait qu'il y a plus d'enfants touchés». Pour lui, il est clair qu'il y a une réelle augmentation de l'autisme, et les chercheurs ont besoin de plus de financement et de soutien pour vérifier les causes environnementales possibles. Durant la dernière décennie, le gouvernement fédéral américain a dépensé environ 1 milliard de $ pour des recherches génétiques sur l'autisme et seulement environ 40 millions $ dans des études de possibles facteurs environnementaux.
Tout le monde n’est pas d'accord avec l'appréciation d’Insel. Certains affirment que les données actuelles ne sont pas assez solides pour dire avec certitude que l'augmentation des diagnostics d'autisme représente un véritable changement de sa prévalence. «On a l’impression que les chiffres sont en hausse. Vraiment», explique Richard Grinker, anthropologue à l'Université George Washington à Washington DC. Mais "quand j’examine les données scientifiques, çà ne tient pas debout», dit-il. "Vous ne pouvez pas prendre les estimations de la prévalence de l'autisme comme si elles étaient le genre de preuves scientifiques strictes que vous obtiendriez dans la cartographie de l'augmentation d'un virus."
Changer les critères
Personne ne sait avec certitude ce qui cause l'autisme, bien que les gènes et l'environnement semblent tous deux être impliqués. La substance blanche du cerveau peut grandir trop vite dans les deux premières années de la vie, laissant ses réseaux embrouillés. Les synapses, les jonctions entre les neurones, pourraient ne pas fonctionner normalement. Ou d'autres processus physiologiques pourraient être impliqués: l'autisme a été lié diversement à l'épilepsie, des problèmes digestifs, une dysfonction immunitaire ou hormonale, une fonction mitochondriale et bien plus.
Les critères diagnostiques de l'autisme ont changé au fil du temps. En 1952, l'autisme défini par la description limitée de Kanner était diagnostiqué comme une «schizophrénie d'apparition précoce»; il a été rebaptisé «autisme infantile» en 1980 puis «trouble autistique» en 1987. Dans la dernière décennie, la dénomination commune d'autisme a couvert un large éventail de troubles du comportement, de la communication et des interactions sociales également évoqués par le terme générique de TSA, qui inclut le trouble autistique, le syndrome d'Asperger et autres troubles connexes.
Les diagnostics de l'autisme sont aussi subjectifs. Les compétences sociales sont très variables dans la population générale, comme le sont d'autres comportements associés à l'autisme. Quand est-ce qu’un manque de spontanéité ou une incapacité à prendre contact avec les yeux devient un problème digne d'une étiquette médicale? Et la fréquence du diagnostic reflète souvent combien les parents sont impatients à le recevoir. Quand il y a une stigmatisation, les diagnostics sont susceptibles de chuter ; quand le soutien du public croît, ce sera aussi le cas de ceux-ci.
Un diagnostic peut muter, selon Grinker. «C’est un cadre pour un ensemble de symptômes. Et c'est un cadre qui se déroule à un moment particulier dans le temps avec une certaine société et un certain système de santé et de système éducatif, et qui va changer à mesure que la société change."
Ces considérations permettent d'expliquer la prévalence étonnamment élevée de l'autisme que Grinker a trouvé en Corée du Sud dans une étude publiée cette année (6). Dans les années 1980, il avait trouvé des familles coréennes généralement peu disposées à admettre que quelque chose allait peut-être mal chez leurs enfants, en raison de la stigmatisation qui y était liée (7). Mais quand il a entrepris la dernière étude, les attitudes avaient changé. Les familles à Ilsan, une communauté résidentielle, stable, de la périphérie de Séoul, a bien accueilli l'information sur l'autisme, qui dans cette étude a été offerte de façon confidentielle. Son équipe a testé plus de 55 000 enfants nés entre 1993 et 1999, et est arrivée à une prévalence de TSA de 1 sur 38 (6). Grinker dit que c'est peut-être une surestimation, mais c'est le mieux que son équipe pouvait produire.
Les chiffres actuels de la prévalence de l'autisme aux Etats-Unis sont susceptibles d'être trop faibles, selon Grinke, parce qu'ils n’examinent pas la population tout entière. De nombreuses études américaines sont fondées sur les cas diagnostiqués d'autisme, que ce soit dans le district scolaire de Californie - le plus important du pays - ou dans le réseau de surveillance de l’autisme et des handicaps du développement des CDC. Mais les données en Californie comptent seulement les enfants assez âgés pour être à l'école et assez handicapés pour obtenir un diagnostic ou avoir besoin de services. La surveillance des CDC ne capte également que les enfants ayant un trouble du développement documenté. Ces méthodes manqueront probablement les enfants aux extrémités plus faibles du spectre.
Certaines recherches suggèrent que la prévalence a toujours été élevée. Dans une étude publiée cette année (8), une équipe dirigée par Terry Brugha, psychiatre à l'Université de Leicester, Royaume-Uni, a regardé dans le passé de l'autisme en évaluant les adultes avec ce désordre. Son équipe a frappé à plus de 7000 portes à travers l'Angleterre. Et bien que Brugha s'attendait à découvrir un très faible prévalence de l'autisme chez l'adulte, lui et ses collègues en ont calculé 9,8 pour 1000 - proche de la fréquence observée chez les enfants américains.
"S'il est une cause environnementale en contribuant à une augmentation, nous voulons certainement le trouver."
Brugha dit que la recherche doit être répétée dans différents groupes, mais l'implication est que la prévalence d'autisme est stable. "Si cela est confirmé dans d'autres études, cela signifie que nous devrions aussi être à la recherche des causes de l'autisme qui ont toujours été là, et pas seulement à celles des causes qui se sont développées ces dernières années ou décennies», dit-il.
Christopher Gillberg, qui étudie la pédopsychiatrie à l'Université de Gothenburg en Suède, a trouvéla même chose depuis qu'il a commencé à évaluer les cas d'autisme dans les années 1970. Il a trouvé une prévalence d'autisme de 0,7% chez les enfants suédois de 7 ans en 1983 (réf. 9) et 1% en 1999 (réf. 10). «J'ai toujours senti que ce battage médiatique au sujet de ce qui serait une épidémie n'est pas vraiment très probable», dit-il.
Combler l'écart

Karen
Weintraub est pigiste à Cambridge, Massachusetts.
· References
- Kanner, L. Nerv. Child 2, 217-250 (1943). | ISI |
- Lotter, V. Soc. Psychiatry 1, 124-137 (1966). | Article |
- Newschaffer, C. J., Falb, M. D. & Gurney, J. D. Pediatrics 115, e277-e282 (2005). | Article | PubMed | ISI |
- ADDMN Surveillance, Year 2006, Principal Investigators MMWR Surveill. Summ. 58, 1-20 (2009). | PubMed |
- Rutter, M. Acta Paediatr. 94, 2-15 (2005). | Article | PubMed | ISI | ChemPort |
- Kim, Y. S. et al. Am. J. Psychiatry 168, 904-912 (2011). | Article | PubMed | ISI |
- Grinker, R. R. Korea and its Futures: Unification and the Unfinished War (St Martins Press, 1998).
- Brugha, T. S. et al. Arch. Gen. Psychiatry 68, 459-465 (2011). | Article | PubMed | ISI |
- Gillberg, C. J. Child Psychol. Psychiatry 24, 377-403 (1983). | Article | PubMed | ISI |
- Kadesjö, B., Gillberg, C. & Hagberg, B. J. Autism Dev. Disord. 29, 327-331 (1999). | Article | PubMed |
- King, M. & Bearman, P. Int. J. Epidemiol. 38, 1224-1234 (2009). | Article | PubMed | ISI |
- King, M. D. & Bearman, P. S. Am. Sociol. Rev. 76, 320-346 (2011). | Article | PubMed |
- King, M. D., Fountain, C., Dakhlallah, D. & Bearman, P. S. Am. J. Public Health 99, 1673-1679 (2009). | Article | PubMed | ISI |